jeudi 16 mai 2013

Flâner dans les rues

J'aime flâner, comme Yves Montand... mais dans les rues...


   J’aime le nom des rues, les rues de mon enfance, les rues  ensoleillées: la rue d’Alger, aux pavés bien cirés, qui m'effrayait et que je voyais couler de Toulon vers les côtes sud de la Méditerranée - on disait que les Allemands l'avaient aménagée pendant la guerre pour alimenter le port militaire, la rue de la Glacière, étroite , noire, et gelée par le mistral où passait encore le chapacan,  la rue du Four de mon village où les vieux se chauffaient , assis sur un banc de pierre,  la rue d’En-Ville qui menait nulle part, le chemin bonne Paie qui faisait transpirer sans rien rapporter d'autre que des douleurs dans les jambes, la rue des arrosants qui pleurait de sécheresse, la rue du puits où se mirait une lune trompeuse,  l'aire des Dames aux senteurs de violette qui sentait le péché sous les voilettes, et surtout la rue Roumpe-cul, si étroite et si rude que j’avais peur d'y tomber et de m'y enfoncer à jamais, si bien  que je ne l'ai jamais empruntée.

   C’est elle qui m’a inspiré ma première nouvelle.
   Je l’ai ici réécrite et condensée:




Voir l 'extrait ci-dessous:



"... Il se voûtait, ridé comme un vieux cep, grognon et solitaire. Il avait veillé le village quand celui-ci se mourait, mais toujours vert, il gardait ses chèvres, faisait son jardin que la rivière arrosait. Il était tranquille. Puis ils étaient revenus, des bobos, des écolos, des bios qui voulaient attirer le touriste, et la sono avait remplacé les silences des quatorze juillet.
Il habitait la rue Roumpe-cul, il détonnait dans ce village retapé, fardé comme une coquette.
Le policier municipal l’avait maintes fois averti :
— Les voisins en ont assez ! Tu exagères. Tu déshonores le village. Ce n’est plus une rue, c’est une décharge publique !  La puanteur  du bouc dans l’étable ! La couche de fiente dans ton poulailler et je ne parle pas de ton pàti* au fond du jardin !. Tu attires les mouches. Je vais être obligé de t’envoyer les services d’hygiène. Tu dois te brancher sur le tout-à-l’égout ! C’est le règlement !
Le vieux, renfrogné, tourna les talons.
La femme du maire a glissé sur les crottes des biques, il a été verbalisé au nom de la salubrité.
— Jules, maintenant tu as dépassé les bornes ! Je dois te dresser un procès- verbal !
Une amende à payer pour des fesses sur le pavé de sa rue ! La goutte d’eau qui fait déborder le vase.
C’est qu’il savait comment faire maintenant ! Il les avait suffisamment épiés ces petits angelots d’étrangers qui se croyaient à l’abri derrière les murs du cimetière.
 Il a subtilisé sur un chantier une bombe de couleur qui servait à tracer les limites d’une propriété.
Le soir, attentif, les paupières plissées, lentement, avec précaution,  le vieil homme indigne se mit à taguer.
 Il couvrit les murs de fesses : des  rondes comme les joues d’un vicaire, des tristes en gouttes d’huile, des  ridées comme des pois chiches, des rouges de fessées, des nazies noires et rouges, des toutes noires anarchistes, des potelées et roses de bébé, des lascives de femmes adultères, des rebondies de callipyges, des sèches et dures de gendarmes motocyclistes. En mordillant une lèvre gourmande, il croqua aussi des culs provençaux à l’odeur de lavande, des culs d’ébène polie venus de l’Afrique Equatoriale Française, des culs blancs de bordels festonnés de rubans.  Il bomba encore dans les moindres recoins des culs pas encore nés, sucrés comme des petits pois, des mous et fripés pendants aux figuiers de septembre, des larges dégouttant de saindoux, des maigres de carême, des culs mignons et des culs obscènes,  des faux-culs, des culs-terreux, et même des culs velus comme celui d’Ernestine dont on disait qu’elle avait le poil noir, dru et rêche comme une chèvre. Il peignit jusqu’au lever du soleil. Le chien le suivait l’oreille basse, la queue entre les pattes en léchant l’ombre des murs.   Lorsque les rayons du soleil se chargèrent de paillettes pour saupoudrer de touches dorées son dernier derrière, Jules satisfait s’arrêta. Il restait encore un espace vierge au-dessus de la voûte de la poterne. Il prit son escaraçon* et grimpa. Il voulait écrire en gros, d’un grand coup de bombe : « Foutez-moi la paix ! » Mais comme il craignait de faire une faute d’orthographe, il se contenta de tracer en majuscules : MERDE.  Et il ajouta un énorme point d’exclamation. Le chien discrètement leva la patte pour signer d’un graffiti.
Puis Jules déboucha avec précaution une bouteille de fine, celle qui datait d’avant la guerre, et sombra, abruti de fatigue et d’alcool dans un grand ronflement.
Un rayon de soleil perçait le cœur qui ornait le volet. Ça ne le lui était jamais arrivé !  Encore tout embrumé, il se traîna jusqu’à la fenêtre. Il se pencha. Ça grouillait dans la rue, ça hurlait, le maire et le conseil municipal, le journaliste du journal du matin, la grand foule.
Il y eut des grincements de freins, des claquements de portières. Deux cars s’arrêtaient sur la place, des flashs crépitèrent. Un tsunami touristique submergea le village.
-Sensuel, érotique, art naïf, bourdonnait la foule.
Chinois et Japonais montaient à l’assaut de la rue Roumpe-Cuou pour immortaliser sur les écrans numériques asiatiques « The Authentic  French  Country Art. »

* : en provençal, wc, cahute en planches.
* : échelle pour cueillir les fruits.




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