LE PARFUM DU CIMETIERE DES
INNOCENTS.
Si le nez subtil de Grenouille avait détecté le
parfum douceâtre du lys Martagon, il se serait détourné du chemin de Grasse.
Son odeur languide imprègne ma maison, un suaire vanillé de gerbe mortuaire.
Grenouille aurait fui ce mélange de pourriture de
fleurs décomposées qui flottent parfois sur les marais. Une composition savante
de sueur misérable et de perruque poudrée de Versailles, des épices défraichies, flétries,
à peine poivrées, à bon marché, transpirées. Des fleurs de cimetière qui
refusent de rejoindre un tas d’ordure et gémissent dans les notes serpentines de
leur couleurs fanées.
Ils envahissent ma maison de leurs effluves
prenants, m’oppressent et m’étouffent de liens d’odeurs de chambres mortuaires de
reines pharaonique dont je ne peux me débarrasser et qui collent à ma peau
comme une crème viciée de momies qui auraient vaincu le temps.

Ils étaient magnifiques, rubanés d’un moiré violacé.
J’en avais cueilli tout un bouquet dans mon jardin d’été où ils se propageaient,
se plaisant au milieu du vert des prés. Ils narguaient de la somptuosité mystérieuse
de leurs pétales recourbés les marguerites et les orchidées.
Désormais, je les laisserai se multiplier sans les
toucher. Dans certaines régions le lys martagon est une espèce protégée.
Interdit de cueillette. Mais ceux qui y ont goûté ne vont plus s’y risquer. Sa
puanteur douce et enivrante le défend. Il sait se faire détester pour survivre. Il se venge quand on l'a coupé.
« Mais
voici qu’à cause de la chaleur et de la puanteur (qu’elle ne percevait pas
comme telles, mais plutôt seulement comme une chose insupportable et enivrante,
un champ de lis ou une chambre close où l’on a mis trop de jonquilles…) »
Extrait du roman de Patrick Süskind : «Le Parfum »